Gabon et coup d’Etat : la fin d’une histoire ?


L’Afrique contemporaine a amorcé un tournant majeur au soir de ses indépendances avec la question des coups d’Etat qui avait finalement précédé la démocratie. Dans cette évolution ô combien étriquée, l’ouvrage pour une ère nouvelle ne s’est imposé qu’au gré de la force, de la violence, de la mort. Ainsi, dès la décennie 1960, une série de renversements des régimes politiques établis, par les militaires, s’inscrit au patrimoine historique de nos évolutions politiques. Cet épisode a indélébilement marqué le Continent et malgré les pesanteurs et conjonctures inappropriées, s’est métastasé dans le silence. Le Gabon, malgré son histoire politique, d’ailleurs trouble du fait de ses rôles subversifs, a aussi connu son temps de crises du même style, mais, faut-il le reconnaitre, inexorablement avec des effets différents.
1964, la première de toutes les dates, aujourd’hui portées à trois, notamment après l’épisode du jeune Lieutenant Kelly ONDO en 2019 et maintenant, celui de ce mercredi 30 août 2023, officiellement à 4h54, perpétré par un groupe de militaires mixte identifié comme le CTRI-Comité de Transition pour la Restauration des Institutions, qui l’annonçait d’ailleurs sur les deux principaux médias dits d’Etat, G24 et G1ere au cour d’une vidéo, visiblement tournée dans la cour du Palais du Bord de mer.

Si les deux premiers sont le fruit d’une certaine impréparation, que peut-on dire de celui-ci car à l’heure actuelle on peut voir circuler dans la ville des véhicules militaires avec des hommes en tréhis qui rassurent les faibles populations dans les rues. En effet, partagées entre euphorie et stupeur, c’est assez timidement que les gens sortent de chez eux et expriment des scènes de liesse avec les mains jointes et le visage en direction du ciel comme pour remercier l’éternel Dieu de ce qui semble prendre les allures d’un miracle, drapeau vert-jeune-bleu sur les épaules et hymne national aux lèvres. La joie est en effet à son comble et on peut d’ores et déjà entendre baptiser cette journée du 30 août 2023, « Jour de l’Indépendance du Gabon ». C’est évident, le Gabon étonne le monde mais davantage sa sous-région réputée être le bastion des dinosaures aux caractéristiques monarchiques au pouvoir. C’est dire que ce coup d’Etat peut en effet inspirer bien d’idées, Internet étant rétabli !

Dans une récente analyse, nous mettions déjà en exergue qu’Ali BONGO ONDIMBA, candidat à sa succession pour un troisième mandat, n’avait besoin ni de cette épuisante bataille, aussi bien physiquement que spirituellement, surtout après les quatorze années quasi-chaotiques pendant lesquelles il a occupé le fauteuil présidentiel. En effet, la pauvreté s’est placée au-dessus de l’espoir et la misère s’installe progressivement dans un contexte aussi insalubre qu’insécuritaire criard et la jeunesse devient l’ombre d’elle-même entre violences, suicide, drogues, prostitution, chômage, désespoir…

Ce coup d’Etat en cours est-il la voix de la raison qu’il lui fallait entendre, non seulement à lui, mais également à son entourage qui n’a fait que briller dans de la gabegie et une arrogance aussi paroxysmique qu’intrépide. Rien n’est moins sûr.
À quelques jours encore du premier triple scrutin de l’histoire politique contemporaine du Gabon, le régime d’ABO s’est illustré en parfait tyran, entre gouvernement et toutes les prérogatives dues à l’exercice d’un pouvoir qui n’était nullement en compétition. Conseil de ministres, gestion des affaires courantes, contrôle absolue de l’administration, coupure d’Internet et autres décisions ont continué à s’opérer sous les ordres et instructions du très distingué camarade devenu pour la circonstance « candidat-président ».

A ce jour, qui peut dissiper le flou qui règne sur cette situation qui, vraisemblablement, n’a rien à avoir avec l’épisode de 2019 ?
Les déclarations des militaires sont continuellement diffusées sur la télévision nationale en attendant la reprise « normale » des activités et les informations (JT) sont de retour. Le CTRI annonce par ailleurs la dissolution des Institutions et les élections, qui donnaient d’ailleurs ABO vainqueur avec 64,27% de suffrages, sont annulées parce que jugées non crédibles et de nature conflictogène, donc contre la Paix ! Les populations sont appelées à observer le calme sans autres recommandations mais que peut-on, 24h après, espérer ou retenir de cet apparat de l’histoire politique du Gabon ?
Le Comité de Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI) a désigné le Président de la transition et le Général Brice OLIGUI NGUEMA a, sans surprise, été désigné « à l’unanimité ». Nous osons espérer que ce fin stratège militaire mesure la tâche qui lui incombe car si certains doutent de sa bonne foi du fait de sa longue durée auprès du pouvoir qu’il vient de renverser, d’autres l’attendent sur le terrain de la Restauration.

De la Restauration politique ou des Institutions
En dissolvant les Institutions, le CTRI ouvre un nouvel horizon pour de nombreuses générations qui avaient perdu toute confiance dans la politique gabonaise car presque deux générations entières n’ont connu que le régime dit « Bongo-PDG ». En effet, la soif d’un autre jour demeure grande et devrait surtout s’étendre davantage afin de ne perdre de vue aucun élément primordial.
Ce coup d’Etat, bien que militaire, n’est pas pour l’Armée car elle-même est garante du peuple. En effet, il est d’autorité publique que l’Armée est, dans sa grande majorité, bénéficiaire d’un plus large traitement et cela ne se discute pas dès lors qu’elle œuvre au quotidien à la stabilité du territoire à travers ses rôles de sécurité et de défense. Les bénéfices de cette nouvelle page de l’Histoire du Gabon doivent porter les couleurs de la Nation, sans distinction aucune.

La Restauration des Institutions ne serait actée sans prendre en compte la Restauration de la dignité du peuple gabonais. En effet, les populations avaient fini dans le désarroi total et la résignation la plus absolue devant la toute-puissance de certaines communautés étrangères qui brandissaient à tout va le très méprisant « je suis plus gabonais que toi », du fait de leurs accointances avec les hommes du régime déchu. Entre spoliation de biens ancestraux, les procès corrompus, les assassinats, les enquêtes sans issues, la loi du plus aisé, la clochardisation des populations, les crises et conflits homme-faune, les services publics (hôpital, eau, électricité, routes, école…) misérables, l’exode rural, l’arrogance des expatriés (sans xénophobie aucune), la prise en compte des milliers de diplômés au chômage, le marchandage des postes budgétaires, les salaires à minima et parfois impayés, les retraités sous considérés et parfois lynchés, les étudiants, la promotion de sous-valeurs (mœurs)…, en effet, le tableau est grandement fourni et le gabonais aimerait bien sortir du désormais sempiternel « on va encore fait comment ? ». La dignité du gabonais a été pendant trop longtemps bafouée et le peuple a sombré depuis lors dans une forme de léthargie intellectuelle qui n’a fait émergé que le seul comportement de la politique du ventre.
La restauration doit donc s’opérer à un niveau multidimensionnel car la libération doit-être totale. C’est donc le lieu d’appeler le peuple à accompagner ses vaillants soldats dans la « gabonisation » (« Gabon d’abord » tant cher au feu Président, père de l’indépendance, Léon MBA) de la gestion du nouvel Etat naissant. Par ailleurs, est-il plus que judicieux d’adjoindre à cette « Restauration étatique », la « Restitution des droits » perdus du peuple gabonais car cela est garant de la Paix tant proclamée.

